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Littérature anglaise - Page 49

  • Gloversville

    russo,richard,ailleurs,récit,littérature anglaise,etats-unis,autobiographie,mère et fils,famille,culture« Retourner à Gloversville une fois de plus était peut-être une idée folle, mais elle n’était pas nouvelle, loin de là. Autant que je pouvais en juger, elle avait commencé à germer dans le chalet que nous avions loué lors de notre arrivée dans le Maine, puis elle avait progressé et s’était éloignée au gré des fluctuations de son esprit. Le problème (j’en avais conscience depuis notre voyage dans l’Arizona), c’était qu’il existait deux Gloversville aux yeux de ma mère, celui qu’elle avait toujours essayé de fuir quand elle y vivait, et l’autre, qu’elle considérait, avec nostalgie, comme son vrai foyer chaque fois qu’elle s’en éloignait. Quand elle y habitait, c’était un endroit minuscule, isolé, fruste, borné, qui l’empêchait d’être elle-même : libre, anticonformiste, sans entraves. Mais dès qu’elle quittait le nid, ces choses qu’elle détestait prenaient un aspect plus séduisant. La petitesse tant abhorrée devenait synonyme de confort, pas besoin de voiture pour vivre là. Les personnes chères, celles-là mêmes qui violaient votre intimité et vous abreuvaient de conseils inopportuns, se trouvaient juste à côté. Et, vues de loin, elles paraissaient moins indiscrètes que prévenantes et bienveillantes ; leur sollicitude était un filet de sécurité. »

    Richard Russo, Ailleurs

  • Russo et sa mère

    Ailleurs de Richard Russo (Elsewhere, 2012, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch) est un récit autobiographique – « plus l’histoire de ma mère que la mienne », précise-t-il. L’auteur du Déclin de l’empire Whiting, à la mort de sa mère, entreprend de remonter le temps vécu avec elle. Fils unique d’une divorcée (son père était joueur), le romancier américain a nourri son œuvre de Gloversville, sa ville natale, une cité sans charme un temps célèbre pour ses ganteries – son grand-père maternel y travaillait.  

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    Avec sa mère, il partageait « une modeste maison avec ses parents dans Helwig Street », ses grands-parents en bas, eux en haut, dans deux appartements identiques. C’est la solution qu’elle avait trouvée pour vivre indépendante, son obsession, en leur versant un loyer. Employée chez General Electric, Jean était fière d’avoir fait son chemin « toute seule » et d’avoir « nourri, habillé et élevé » son fils. Jusqu’à la fin de sa vie, même dans la Résidence dont il réglait les frais, elle répondrait : « Oh non ! Je vis de manière indépendante. »

    En regardant avec ses filles les photos de sa mère jeune, il se rappelle ses tenues chic, son optimisme forcené, son ambition – surtout pour lui : « Toi, me répéta-t-elle durant tout le lycée, tu ne resteras pas à Gloversville. » Ses résultats lui permettent d’étudier dans l’Etat de New York, mais il observe que l’Université d’Arizona serait moins chère et à sa grande surprise, sa mère ne proteste pas. Elle a décidé de l’accompagner vers l’Ouest dans la grosse Ford Galaxie qu’il a achetée d’occasion, si terne que ses amis l’ont surnommée « la Mort Grise ».

    C’est un périple, pour quelqu’un qui vient d’avoir son permis, en compagnie d’une mère un peu « cinglée », comme disait son père. Ses grands-parents jugent déraisonnable que sa mère abandonne ainsi son emploi. Mais elle ne pense qu’au bonheur de « quitter enfin cet endroit horrible, horrible », de vivre « ailleurs ». Les choses seront plus difficiles qu’elle ne l’avait cru, et après une série de petits boulots à Phoenix, sa mère finira par rentrer à Gloversville.

    Au fil des ans, les problèmes de sa mère s’accentuent, ses exigences, ses plaintes, sa fragilité mentale. Richard Russo est d’une patience extrême avec elle, culpabilise à chacune de ses crises, s’efforce de lui faciliter la vie autant que possible. Sa femme Barbara, avec qui il a deux filles, accepte de la loger chez eux chaque fois qu’aucune autre solution n’est possible, mais c’est vite l’enfer avec quelqu’un d’aussi exigeant.

    Eux-mêmes déménagent régulièrement, « nomadisme universitaire » oblige, et à chaque fois, il faut trouver un logement pas trop éloigné pour sa mère qu’il est le seul à pouvoir calmer. Ses crises d’angoisse la mènent de dépression en dépression. Mais il admire son goût pour la lecture, qu’elle lui a communiqué, et sa bibliothèque de livres soigneusement sélectionnés alors que sa femme et lui en accumulent sans ordre ni choix véritable, pour des raisons professionnelles.

    Quand Richard Russo abandonne l’enseignement pour écrire à plein temps – le succès lui permet à présent de vivre de sa plume, malgré les contraintes qui en découlent – sa mère désapprouve, comme ses parents lorsqu’elle avait quitté Gloversville la première fois. Un jour, après un épisode de confusion totale, le bon fils devra bien accepter le diagnostic de démence et de troubles obsessionnels compulsifs chez sa mère, les signes annonciateurs lui en sont familiers depuis longtemps. 

    A la douleur d’être impuissant devant ces troubles s’ajoute une réflexion profonde sur leur ressemblance : quelle est la part d’hérédité dans cette démence – sa grand-mère en présentait des symptômes – alors que sa mère et lui sont « de la même étoffe », comme elle a toujours affirmé ? N’est-il pas lui aussi « obsessionnel, obstiné et rigide » ? Avec l’empathie, la compassion envers sa mère, cette interrogation personnelle constitue la part la plus forte d’Ailleurs. Ecrire, voilà ce qui permet à Russo de vivre avec tout cela – « Mais je ne veux plus être un petit garçon, plus jamais. »

  • Deux jeunes filles

    coe,jonathan,la pluie avant qu'elle tombe,roman,littérature anglaise,secrets de famille,culture« Et voici la cinquième photo pour toi, Imogen. Une scène hivernale. Le parc public de Row Heath, à Bournville, dans les premiers mois, terriblement froids, de 1945.
    J’ai du mal à regarder cette photo. Elle a été prise par mon père, avec son petit appareil, un dimanche après-midi. L’étang qui se trouve au centre du parc est gelé, et des dizaines de gens y patinent. Au premier plan, en gros manteau et bonnet de laine, regardant droit dans l’objectif, deux silhouettes : moi, onze ans, et Beatrix, quatorze ans. Beatrix tient une laisse dans sa main gauche, et au bout de la laisse, à ses pieds, Bonaparte s’impatiente. Les deux jeunes filles sourient, d’un grand sourire heureux, sans se douter de la catastrophe qui va s’abattre sur elles. »
     

    Jonathan Coe, La pluie, avant qu’elle tombe

  • Photos pour Imogen

    Cela fait longtemps que je ne m’étais plus tournée vers Jonathan Coe. La pluie, avant qu’elle tombe (2007, traduit de l’anglais par Jamila et Serge Chauvin), est un roman tout en sensibilité, aux personnages attachants, même si l’histoire est sombre, et l’écrivain britannique a surpris ses lecteurs attachés à un ton plus ironique. La mort de son grand-père et les souvenirs des vacances passées chez lui quand il était enfant ont nourri son inspiration, entre autres, comme il l'explique sur son site. 

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    Mais ce roman donne voix surtout aux femmes. Gill apprend le décès de sa tante Rosamond à 73 ans, trouvée chez elle « assise bien droite dans son fauteuil ». A son enterrement au village, peu de gens se connaissent. Gill est heureuse de retrouver son père, son frère, et ses filles, Catharine et Elizabeth. De l’amie médecin de sa tante, elle apprend que celle-ci était en train d’écouter de la musique, et qu’elle tenait un micro relié à un vieux magnétophone.

    Rosamond, qui n’a pas eu d’enfant et avait perdu Ruth, sa compagne peintre, des années auparavant, a divisé son héritage entre Gill et David, ses neveux, et une « quasi-inconnue », Imogen, que Gill n’a rencontrée qu’une seule fois, il y a plus de vingt ans  la petite fille aveugle était à la fête des cinquante ans de sa tante. Comment retrouver sa trace ? Il faut de toute façon que Gill aille quelques jours dans le Shropshire pour trier les affaires de Rosamond.

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    Dans le modeste bungalow de sa tante, Gill trouve près du fauteuil tourné vers le jardin un portrait d’Imogen enfant, des cassettes, et un petit mot : « Gill, ces cassettes sont pour Imogen. Si tu ne la retrouves pas, écoute-les toi-même. » Sur l’électrophone, des Chants d’Auvergne par Victoria de Los Angeles. Près des autres disques, un verre à whisky et un flacon vide de tranquillisants. Gill en est bouleversée, puis décide de ne rien en conclure. Rosamond avait de graves ennuis cardiaques, elle avait refusé de se laisser opérer et savait sa fin proche – pourquoi en parler ?

    Quatre mois plus tard, malgré les annonces, Imogen reste introuvable. Gill se rend à Londres où vivent ses filles pour écouter les cassettes avec elles. C’est à Imogen que Rosamond s’adresse d’emblée, Imogen dont elle a perdu la trace depuis que ses « nouveaux parents » ont décidé d’éviter tout contact avec elle. Rosamond lui laisse de l’argent, mais elle a quelque chose d’« infiniment plus précieux » à lui transmettre : son histoire, « la conscience de (ses) origines, et des forces qui (l’) ont façonnée ». 

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    Elle a sélectionné vingt photos dans ses albums. Comme Imogen ne peut les voir, elle a choisi de les lui décrire et de raconter leur contexte, afin d’arriver au plus douloureux, une histoire qu’Imogen ne connaît pas et qui la concerne, une vérité que Rosamond est seule à connaître. La pluie, avant qu’elle tombe est le récit d’une vie, « l’album du destin selon Jonathan Coe » (Le Monde).

    Rosamond, avant de mourir, a revisité son enfance et les temps forts de sa vie, de la fin des années 1930 à ses cinquante ans. Sa cousine et deux femmes aimées ont énormément compté pour elle. Rosamond cherche les mots justes, se perd parfois en digressions, s’interrompt quand l’émotion la submerge. Sa voix révèle des pans secrets de sa propre vie, d’autres vies aussi, et la place qu’y tient Imogen, restée si proche dans son cœur malgré que la vie les ait éloignées l’une de l’autre. 

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    L’auteur est musicien, amateur dit-il, et son roman fait une belle place à la musique, notamment à travers le personnage de Catharina, la fille de Gill, qu’on y découvre en concert. Si le destin de ses personnages, ou plutôt leur quête de la vérité, captive en premier le lecteur, l’écrivain britannique possède l’art, par petites touches, d’évoquer en même temps une époque, des paysages. Dans son dernier roman, Expo 58, un personnage secondaire de La pluie, avant qu’elle tombe (Thomas, le père de Gill) est invité à se rendre à Bruxelles pour l’Exposition universelle – un autre rendez-vous prévu avec Jonathan Coe.

  • Bonne question

    bellow,une affinité véritable,roman,littérature anglaise,etats-unis,chicago,affaires,société,amour,culture« Je me vois prendre plaisir à cet assortiment de personnes, avec leurs motivations et leurs comportements. Seule l’une d’entre elles me tient réellement à cœur. Depuis des années maintenant, j’ai plusieurs fois par semaine des rencontres et des conversations imaginaires avec Amy. Au cours de ces discussions mentales, nous avons passé en revue toutes les erreurs que j’ai faites – par dizaines –, la plus grave étant mon incapacité à la briguer, à rivaliser pour elle.
    Elle aurait pu me dire : « Où diable étais-tu passé toute notre vie ? »
    Bonne question ! »
     

    Saul Bellow, Une affinité véritable